L’expression « faire tourner en bourrique » est l’une de ces locutions qui font partie du langage courant français. Souvent utilisée pour exprimer un état d’exaspération ou de confusion, elle peut aussi susciter l’intrigue par sa référence à un animal si commun : la bourrique, ou âne. Cet article explore l’histoire et le sens de cette expression, ainsi que les raisons pour lesquelles cet équidé, autrefois essentiel aux travaux agricoles, est si souvent associé à la bêtise et à l’entêtement dans l’imaginaire collectif.
Que Signifie « Faire Tourner en Bourrique » ?
L’expression « faire tourner en bourrique » signifie amener quelqu’un à un état de confusion, de frustration ou d’exaspération par des comportements répétitifs, des taquineries ou encore des demandes incessantes. C’est un peu comme si l’on tentait d’épuiser mentalement quelqu’un en le soumettant à des situations agaçantes, voire absurdes, jusqu’à ce qu’il perde patience.
Les dictionnaires, comme le Grand Robert et le Larousse, décrivent cette expression comme une manière de rendre une personne « folle » par des taquineries ou des demandes exaspérantes. Dans le langage courant, on utilise également des expressions similaires comme « rendre chèvre » ou « taper sur les nerfs ». Par exemple, on pourrait dire : « Son insistance à me demander des comptes pour chaque détail finit par me faire tourner en bourrique ! »
Origines Littéraires de l’Expression
Des auteurs tels qu’Anatole France et Lionel Labosse ont utilisé cette locution dans leurs œuvres pour exprimer le sentiment de frustration extrême ressenti par leurs personnages. Dans Le Petit Pierre (1918) d’Anatole France, on trouve la citation suivante : « Si j’habitais longtemps chez vous, ma chère Antoinette, il me ferait tourner en bourrique. » Cette phrase illustre bien le poids de cette exaspération, rendue presque insupportable par des comportements incessants et irritants.
Comparaison avec d’autres Expressions
L’idée de « rendre fou » ou de « faire tourner quelqu’un » n’est pas propre à cette locution. L’expression « rendre chèvre » par exemple, évoque aussi cet état de confusion ou d’agacement. La différence ici réside dans l’image que véhicule la bourrique : celle de l’âne, animal souvent perçu comme têtu, voire un peu « borné ».
Pourquoi Dit-On « Faire Tourner en Bourrique » ?
Pour comprendre pourquoi la bourrique (ou l’âne) a été choisie comme symbole de cette expression, il faut se plonger dans l’histoire et l’imaginaire populaire. Depuis des siècles, l’âne est perçu comme un animal têtu et parfois stupide, sans doute en raison de son comportement obstiné et de sa grande indépendance. Ce caractère renforce l’image d’une « bourrique » comme étant difficile à gérer ou à faire avancer.
L’Âne et son Rôle dans la Société
Au fil des siècles, l’âne a joué un rôle important dans les travaux agricoles et forestiers. Utilisé pour sa force plutôt que pour son intelligence, l’âne a longtemps été un compagnon de labeur pour l’homme, supportant de lourdes charges et effectuant des tâches répétitives. Cette image d’un animal docile mais entêté a contribué à lui donner une réputation de « bourrique » dans le langage populaire, une créature que l’on imagine facilement butée et obstinée.
Selon le Dictionnaire de l’Académie française de 1798, le terme « bourrique » est utilisé de manière figurative pour désigner une personne ignorante ou bornée. Ainsi, « faire tourner en bourrique » serait un moyen de désigner l’acte d’agacer ou d’exaspérer quelqu’un au point de lui faire perdre patience.
Étymologie de la « Bourrique »
Le mot « bourrique » dérive de l’espagnol « borrico » (âne), lui-même issu du latin « burricus » (petit cheval ou poney). L’âne, notamment les spécimens roux, n’avait pas une image flatteuse dans les siècles passés, considéré comme colérique et têtu. Les nuances de cette image se retrouvent dans d’autres expressions populaires en lien avec l’âne, qui évoquent souvent son caractère entêté et difficile.
La Bourrique : Bête et Méchante ?
En plus de la réputation d’entêtement, la bourrique a aussi hérité de certains traits considérés comme « mauvais », notamment par son comportement réputé récalcitrant. Ce caractère attribué à l’âne ne repose toutefois pas sur des faits scientifiques. En réalité, les ânes sont des animaux prudents, qui obéissent lorsqu’ils se sentent en sécurité. Mais dans l’imaginaire collectif, l’âne est souvent perçu comme un animal simple, voire un peu bête.
L’Expression dans la Littérature du XIXe Siècle
Bien que l’image de l’âne obstiné ait traversé les époques, l’expression « faire tourner en bourrique » est relativement récente. Elle apparaît pour la première fois au XIXe siècle, notamment dans La Vie d’une Jolie Femme (1831) de Raban, où un personnage se plaint en disant : « Ce diable d’anglais me fera tourner en bourrique. » Peu après, des écrivains comme Henry Monnier et Frédéric Soulié ont contribué à la popularité de cette expression.
Autres Expressions Populaires avec « Bourrique »
L’âne est souvent une source d’inspiration pour le langage imagé français. Voici quelques autres expressions populaires où la « bourrique » tient un rôle central :
« Têtu comme une Bourrique »
L’une des expressions les plus connues impliquant la bourrique est « têtu comme une bourrique ». Utilisée pour décrire quelqu’un d’obstiné au-delà de la raison, elle renforce l’image de l’âne comme une créature entêtée. Dans l’ouvrage En famille de Guy de Maupassant, un personnage lance : « Va donc, bourrique, tu brais trop ! » pour décrire quelqu’un d’entêté et bruyant.
« Saoul comme une Bourrique »
Une autre expression plus festive cette fois-ci est « saoul comme une bourrique ». Elle est utilisée pour désigner quelqu’un dans un état d’ivresse avancée. Cette image d’une bourrique ivre évoque la perte totale de contrôle, rappelant une personne incapable de se tenir droit après avoir bu.
« Saoul comme la Bourrique à Robespierre »
Bien que désuète aujourd’hui, l’expression « saoul comme la bourrique à Robespierre » fait référence au général Hanriot, connu pour son penchant pour l’alcool. Ce dicton est une référence historique qui montre comment le terme « bourrique » a été utilisé pour accentuer des traits de caractère ou des comportements extrêmes dans le passé.
La « Bourrique » : Entre Mépris et Affectivité
L’expression « faire tourner en bourrique » traduit aussi la dualité des sentiments que l’on peut éprouver envers la bourrique : une sorte de mépris mêlé d’affection. Bien que l’âne soit associé à des qualités peu flatteuses, il demeure un animal attachant et fidèle, capable de grande loyauté envers ses maîtres. Les anecdotes rapportées par les anciens montrent d’ailleurs comment les ânes, malgré leur caractère obstiné, peuvent être des compagnons de travail précieux.
Pourquoi cette Expression est-elle toujours d’Actualité ?
En dépit de son origine ancienne, l’expression « faire tourner en bourrique » reste d’actualité parce qu’elle représente un sentiment universel : celui de perdre patience face à des situations incompréhensibles ou irritantes. La richesse de cette expression réside dans son caractère imagé et dans l’utilisation de l’animal comme miroir des comportements humains.
Conclusion
L’expression « faire tourner en bourrique » incarne une part de l’histoire et de la culture populaires françaises, à travers le symbole de la bourrique, cet animal têtu mais attachant. Bien que les bourriques aient souvent été perçues de manière négative, elles ont su gagner une place dans le langage imagé, représentant nos frustrations et nos moments d’exaspération avec humour.
En utilisant des expressions comme celle-ci, le français permet de donner un peu de légèreté à nos expériences de vie. Alors la prochaine fois que quelqu’un vous agace au point de « vous faire tourner en bourrique », rappelez-vous que vous n’êtes pas le seul à ressentir cette exaspération universelle.